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jeudi 5 décembre 2013

Au revoir / Adieu, Toi

Quand les nuits tombent tôt, l'heure est venue de replonger dans les polars, alors la collection Sonatine est de retour !



J'avais découvert Zoran Drvenkar avec le très bon Sorry parce qu'il est allemand, il avait été embarqué dans mon séjour professionnel de l'an dernier, et bien m'en avait pris, je me réfugiais le plus souvent dans la chambre sous prétexte d'être fatigué, ne me restait qu'à lire...Je tombe par hasard sur Toi, alors on essaie...
On découvre assez vite l'astuce littéraire du livre, chaque chapitre change de personnage, mais s'adresse à lui ou elle sous la forme du tutoiement, c'est finalement assez amusant et assez prenant. On découvre donc, et dans mes souvenirs Sorry l'était aussi, une construction très savante et très calculée: traduction: on suit des personnages sans trop bien comprendre ce qui les lie, ou les liera, mais peu à peu ça se dévoile. On ajoute quelques retours en arrière parfois, et on y est pour les bases de l'intrigue: cinq ados de seize ans, ultra-copines, très sexe et drogue, à Berlin, l'une d'elle rencontre un mec plus âgé qui flashe sur elle (elle a les cheveux rouges). En parallèle, un baron de la drogue, machine humaine enfin inhumaine, intouchable. En parallèle, avant (?), un serial killer occasionnel mais qui ne fait pas dans la dentelle. Bon alors il reste à lier tout ce disparate, ça se fera progressivement sur les 300 premières pages environ. Qu'en dire alors ? Que, même si au début j'ai trouvé certains trucs légèrement excessifs (mais ça doit être une loi du genre je pense), c'est très prenant, et très intrigant. On voit qu'on est dans une mécanique, et waow elle fonctionne bien...Arrivent alors les 300 dernières pages, et on s'aperçoit qu'il reste quand même quelques zones d'ombre, dont la principale évidente, que je ne dévoilerai pas. Et on se dit qu'il a quand même de l'endurance, cet auteur, parce que les pièces du puzzle s'imbriquent sans cesse, et s'imbriquent vraiment bien.
Avec des moments d'une pure virtuosité (suspense, relance), éblouissants.
Et puis vient la page 420. Et là je crois que c'est la première fois en lisant un livre que je me suis exclamé Ah putain !! Et alors là le coeur a tapé très fort. Parce que là, à ce moment là du livre, je me suis vraiment dit qu'il était très très très fort, ce livre, cet auteur, et il reste 150 pages encore ! Un moment que j'oublierai certainement pas !
Et puis donc les 150 dernières pages, qu'on est obligé de lire d'une traite, on peut pas pas continuer non-stop, une course ou une marche voire un surplace vers la fin du puzzle, qui n'en finit plus de fasciner, parce que décidément oui pour un polar (car cela reste cela), cette mécanique sera jusqu'au bout diablement huilée, à frémir, tant de plaisir que de saisissement...
Et puis jusqu'au bout, parce que les dernières pages m'ont également scotché, et en avant: les dernières lignes sont vraiment très fortes...là, j'avoue, il aura su construire, tenir, et finir ce Zoran Drvenkar, en "beautés"...



...chose que je ne saurai faire, suis pas écrivain ! Je me suis aperçu par hasard que ce billet était le 101ème, et je me suis dit Oh déjà...pas sûr que ça me plaise...Alors je me laisse jusqu'à la fin de l'année pour voir, mais je crois bien qu'après 9 ans et trois blogs bien remplis finalement, cette forme d'écriture là (qui d'ailleurs n'est pas de l'écriture, soyons lucides, rédiger un blog n'est pas écrire) ne m'apporte plus grand chose, si tant est qu'elle m'ait jamais apporté quoi que ce soit, j'ai pas fait ça pour ça. Donc je pressens qu'il est temps que je mette fin - ce n'est pas la première fois, je ne sais si ce sera la dernière - à cette forme d'écriture-là, pour la remplacer par aucune autre bien sûr, je n'ai rien à écrire, mais juste par une autre façon d'exister au quotidien. Je me donne donc ce petit mois pour attendre et voir. C'est au passage l'occasion de souhaiter une bonne fin - et donc pas que d'année !
On terminera alors sur une exception (mais pas d'exceptionnel) pour moi. Je n'aime décidément rien préférer, donc je n'ai pas de chanteur, chanson, livre, auteur préféré, mais pourtant, et c'est un indifférent quasi-absolu à toute la musique des années 60 et 70 qui le dit, il y a cette chanson de Bob Dylan qui est l'une des rares choses dont je crois je ne me lasserai jamais (mais Dylan selon moi n'est pas un chanteur, c'est un artiste véritable). En prime, elle est ici dans un film, un "biopic" on appelle ça - une biographie filmée, un genre cinématographique que je jette à la poubelle sans distinction, sauf ce film I'm not there sur Dylan, de Todd Haynes, parce que là aussi c'est une pure oeuvre d'art, et cet extrait  (sur lequel ya une putain d'adresse twitter qui s'enlève en cliquant dessus, dégage twitter) que j'ai donc découvert en 2007 au cinéma, m'avait électrisé et ébloui pour la plus banale des raisons (et en plus Charlotte Gainsbourg m'indiffère): j'y avais vu deux secondes d'un truc que j'avais vécu avec une fille, et pas oublié. Bonus de l'âge: depuis se sont rajoutés deux autres souvenirs qui étaient sur pellicule mais que j'avais pas encore vécu, avec une autre fille...donc dans ce court extrait (et bien sur c'est pas la moto je n'aime pas plus les motos que les biopic ou Charlotte Gainsbourg !) il y a pour moi trois reflets de moments vécus avec deux filles, deux filles à qui j'aime toujours penser, qui en plus ont su garder encore une réelle jeunesse, mais faut être honnête: elles étaient vraiment avantagées au départ...sourires pas nostalgiques, jamais et toujours.



mardi 3 décembre 2013

J'ai lu quelques BD

Alors au menu des délires labyrinthiques, de l'enfance et de l'adolescence et de la politique.



La BD italienne n'en finit pas de me régaler, et quelle avalanche de bonheurs en tournant les pages de Le monsieur aux couleurs, de Roberto La Forgia, probablement le lecture BD la plus marquante de ce lot. Dans des dessins simplifiés (?) aux couleurs rares et doubles, orange/noir en gros, l'auteur recrée génialement une période souvent malmenée ou infantilisée (in)justement: l'enfance, ici représentée par trois copains, deux de dix ans, un de sept ans, avec parfois l'irruption de quelques filles, quelques parents, et un libraire BD qui donne son titre au livre. L'enfance se recrée ici grandiosement par le langage et les préoccupations, nul angélisme, des discussions sexuelles infinies d'un réalisme aussi génial que drôle (l'enfance, c'est pas titeuf ici, hallellujah !), des situations, tant dans les moments creux qu'importants, mis sur le même plan, traitées avec une délicatesse ne refusant aucun hurlement de rire ou gorge se serrant, bref une maestria tant dans les dialogues, la psychologie que la construction du récit (car on pense à une sorte de succession de scènes avant de voir une cohérence et un sens aussi calculé que terrible) qui font de cette BD une des plus fortes, drôles et belles (car ici cela ne s'oppose pas - certains passages sont vraiment bouleversants) que j'ai lues autour de l'enfance. Fabuleux.

Bien plus courte et sur un thème bien plus classique en BD contemporaine, l'adolescence, A strange day de Tatiana Gill et Damon Hurd s'avère une excellente surprise dans un domaine pourtant fort balisé. Le récit ici s'occupe d'une journée, même pas: le jour où sort un nouvel album des Cure (période pré-internet, où la sortie d'un disque avait encore une portée potentiellement magique), un fan sèche le lycée pour se planter devant le magasin avant l'ouverture...et y rencontre une fan...Matériau simple qui va pourtant donner lieu à une vraie et forte histoire, qui arrive en pourtant peu de pages à distiller une atmosphère particulière et assez unique. J'avoue, j'y croyais peu, j'avoue, je l'ai refermée tout troublé.



On continue avec Pages intérieures de Stéphane Courvoisier et Jacky Beneteaud, une BD assez courte mais assez marquante pour qui aime les histoires à la Borges, les rencontres amoureuses imprévues, la science-fiction de façade, et les bibliothèques...donc en gros, on est dans le futur (mais pendant un tiers de la BD on le sait pas !), dans une bibliothèque où un homme va rencontrer une femme...à partir de cette trame somme toute plutôt mince, le récit va s'engouffrer dans des recoins, des coïncidences troublantes, des phrases énigmatiques rédigées au début vont peu à peu prendre sens, des jeux temporels se faire jour, et on va se retrouver dans une belle histoire qui progresse et tourne en rond, qui rappelle que le temps c'est mystérieux parfois, et qui na va pas finir de ne pas finir...à la fois classique et très bien réinventée, voilà une lecture idéale de soirée d'hiver.

Maître absolu de la BD délirante, Marc-Antoine Mathieu a repoussé toutes les limites imaginées avec sa série de Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves, série que je n'ai jamais lue mais dont souvent on m'a parlé. C'est par erreur que j'ai pris le tome 5 (c'était pas marqué, ya "pas" de couverture !), Le décalage,  donc chaque tome est aussi indépendant, parce qu'il y avait un autocollant qui m'a bien fait rire: "page 40: anomalies normales" ! On commence donc en lisant la non-couverture qui est la page 7, et là c'est parti pour une folie aussi géniale que profonde, un jeu constant sur ce que peut être une histoire en BD, surtout quand comme ici il y a un petit problème, et puis ben oui à la page 40 les pages sont découpées et tout est disons "normal" et puis plus on va vers la fin plus on va de surprise en surprise (il a pensé à tout ce mec !), et on "finit" l'histoire sur la quatrième de non-couverture, et on sourit vraiment. Cette série, disons au moins ce tome, est vraiment le cadeau absolu pour tout amateur d'étrangeté ou de BD. Magistral !


On finit sur de la politique avec le Pierre Goldman, la vie d'un autre, une BD d'Emmanuel Moynot (un voisin de palier presque !) qui m'a laissé perplexe. Au lieu de reconstituer l'affaire et l'époque comme c'est assez traditionnel dans ce genre, Moynot s'attache presque exclusivement au mystère Pierre Goldman, le suivant imaginairement  (mais à travers son livre et des interviews contemporaines présentes tout au long de la BD) pour non pas éclaircir, mais exposer. On est donc plongé dans ce qui peut être vu comme la fin de mai 68 (en 1979, quand même !) à travers la fin d'une vie et d'un individu, et à travers lui le vecteur de nombreuses questions humaines et politiques. BD très troublante donc, parce que ce n'est pas rien que d'accepter de conserver des zones d'ombre autour d'un événement et d'un homme qui n'aura cessé d'en générer...

En hommage à ces années 60-70, la magie d'une chanson d'Anna Karina chez le magicien Godard...m'en lasserai jamais de celle-là...


samedi 30 novembre 2013

DVD curiosités: Alain Gomis

J'ai à peine entendu parler de ce jeune réalisateur français cette année quand est sorti dans une grande confidentialité son troisième film (ah bon ??), Aujourd'hui, avec le génial rappeur (enfin, pas que...) Saul Williams, j'ai pas pu le voir, je me rattrape sur son oeuvre en DVD, et j'ai pas regretté.




Ca commence il y a une dizaine d'années (ah bon ??) avec L'Afrance (2001): bon, je l'avoue, a priori le cinéma à tendance sociale, j'ai rien contre, mais le plus souvent c'est pas du cinéma mais du discours social bien préparé (donc mal) qui procure une impression de surplace. C'est donc légèrement sceptique que je me lance, et me retrouve plongé dans le milieu étudiant (fin d'étude), qui brasse donc origines, préoccupations, réflexions et liens amoureux ou amicaux. Premier constat, j'ai pas souvent vu ce milieu là représenté ainsi, deuxième constat quand arrive assez vite la question des papiers, quelle intelligence...c'est qu'effectivement le film ne va être que ça: de la pure intelligence, ne reculant devant aucune question autour de l'identité (et pas du social), de l'histoire, mais le tout incarné par des vrais personnages, êtres de chair, de sentiments, d'interrogations, de rires, de doutes...et finalement c'est tout simplement un film, très beau, autour de la vie, telle qu'elle peut être éprouvée dans un lieu et temps donné, avec ses passés, ses héritages, ses déviations, dans un contexte (inter)national qu'il faut aussi gérer. Et pour moi, la première fois que la question de l'héritage de la colonisation était posée dans un film avec autant d'intelligence et sans que cela empêche une histoire humaine de se dérouler sous nos yeux.

Du coup, l'envol pris ensuite en 2008 avec Andalucia m'a fait encore plus regretter de n'avoir vu son dernier film. Déjà, Andalucia (titre qui ne se comprend que dans les dernières minutes - séquence magnifique) met au centre un acteur rare, Samir Guesmi, et même moi qui me fout des acteurs et actrices, pour qui ils n'existent pas dans un film, j'étais ravi. Mais en plus là, comparé au premier, on a un film suprêmement libre, assez déroutant au début: des scènes plutôt courtes, qu'il faut apprendre à lier, et qui peu à peu feront le portrait d'un être à part, ce Yacine qui a choisi de vivre dans une caravane, qui discute pendant des heures avec des gens connus ou rencontrés, qui traîne dans un cirque (je veux y aller aussi ! ), qui récupère des petits boulots en refusant de se fixer, qui finalement interroge par son comportement nos modes de vie. Donc on rit, on s'étonne, on écoute, beaucoup, on erre la nuit mais aussi le jour, et peu à peu on s'aperçoit qu'on a là un film de plus en plus poétique et intelligent, une sorte de liberté n'appartenant à aucun genre, et surtout un souffle peu commun dans le monde formaté de certains genres cinématographiques. Là, on touche du doigt des éclairs, des fulgurances, des étonnements, et ce n'est pas donc la scène finale qui arrêtera cela. Pour un réalisateur dont j'ignorais l'existence, on peut dire que la découverte fut au-delà de l'agréable, voilà une voix réellement à part dans le cinéma, français ou pas, une voix précieuse.

Tiens ?? Un disque de rock coréen ? J'essaie ! Ah ?? C'est enregistré en République tchèque ?? Ce serait tchèque ?? J'essaie quand même ! Ah mais c'est vachement bien : Kim Ki O, découvertes par hasard...


vendredi 29 novembre 2013

Oh mon amour, oh mes amours

Un livre ouvert, puis fini d'une traite 2h30 après ?! Cris de joie !



Nouons-nous d'Emmanuelle Pagano, titre dont j'ai mis du temps à comprendre le jeu de mots, mais je suis lent à la compréhension, n'est pas un roman, mais en fait je sais pas trop ce que c'est, ni si on peut savoir, ni si ça vaut la peine de savoir. C'est pas du tout un essai, ni une autobiographie. Ca pourrait ressembler à une sorte de long poème en prose (mais c'en est pas un) si on enlève du mot poème le côté peut-être parfois opaque, obscur ou travaillé: ici c'est clairement travaillé, mais pour aboutir à une limpidité qui fait que ça se boit comme du vin blanc (c'est meilleur que le petit lait).
On va dire que c'est des fragments, qui font entre quatre lignes et une page. Au début, j'ai cru comprendre mais pas du tout: j'ai cru qu'un homme parlait de la femme qu'il aime, puis la femme parlait de lui. Eh ben non: c'est pas "un", ni "une" ! C'est donc en fait une multitude d'hommes, jamais nommés, qui évoqueront un aspect, un moment, un souvenir, un présent, de la femme qu'ils aiment, ou ont aimé. Et réciproquement, des femmes, jamais nommées, évoqueront aussi un instant, un fragment. Au final, c'est soit une litanie, des gens parlent d'amour et parlent d'amour et parlent d'amour et parlent de leur amour, de comment ou quoi ou pourquoi ou de quelle façon ils aiment ceci, cela, elle, ça chez elle, chez lui, mais sans vraiment d'explication, c'est juste des choses dites, des mots très simples mais très forts, très doux, mis sur des instants qui contiennent bien plus qu'eux mêmes, puisqu'instants amoureux. Ca peut aussi être vu comme une série, pas au sens de suite, mais d'enfilade: un kaléidoscope: voilà, des gens parlent, peu, de l'amour qu'ils éprouvent, ou de l'amoureux-amoureuse qu'ils côtoient ou ont connu, et il s'agit juste de les écouter, chacun(e) parlera peu, mais dira vraiment beaucoup, et la somme de ces beaucoup, c'est au lecteur de la déduire.
Et c'est là que c'est magique: parce qu'alors on oscille constamment, sachant que ne pas lire le livre d'une traite paraît bien peu humain, entre la fascination de l'écoute, parce qu'écouter cela moi je voulais que ça ne s'arrête jamais, et le trouble délicieux de l'assimilation: ah oui ça je l'ai connu aussi, à ma manière, ah oui ça j'aurais bien aimé connaître, je n'y avais jamais pensé, ah oui ça finalement en le lisant-l'écoutant j'ai quand même l'impression de le vivre, de le toucher d'expérience.
Alors ivresse, alors souvenirs, alors rêveries, alors espoirs de métempsycose, alors regards dans les rues, vers le ciel les yeux la nuit le gris le froid mais sourire aux lèvres. Aborder la fin de l'année avec et après ce livre, ça efface, ça redit, ça crée constance. Non-roman de l'année, te voilà enfin, sois fort bienvenu...

Une ptite ancienneté de msieur Miossec pour faire écho paradoxal au livre, j'ai toujours été fasciné par cette chanson, qui crie de l'amour en pleurant perte et fracas, et en grognant, mais d'amour ! Vu d'aujourd'hui, elle me fait parfois penser à ***, et puis à  ***, aussi à  ***, pas à  ***, mais aussi beaucoup à  ***...alors j'aime vraiment beaucoup beaucoup, tout ce temps des après.






mercredi 27 novembre 2013

DVD curiosités: collection Les maîtres italiens

Aisément reconnaissables à ses jaquettes oranges et épaisses, cette collection, que je suis loin d'avoir épuisée, présente divers intérêts: ressuciter un cinéma qui fut mondialement reconnu puis moribond puis disparu, mais surtout éviter les chemins balisés certes ô combien essentiels (Fellini, De Sica, Commencini, Visconti, Scola...) pour nous amener soit vers des oeuvres méconnues de ces maîtres, soit plus fréquemment vers des oeuvres vues comme secondaires, qui, redécouvertes, s'avèrent comme souvent premières - aussi. Exemples: (avec, surtout, la stupéfaction de découvrir un cinéma aussi politique et restant du pur cinéma, on voit plus beaucoup ça aujourd'hui, occasion de mentionner une jolie et fondamentale exception, la filmographie géniale du chilien Pablo Larrain, notamment Santiago 73 post mortem et No...)

Achtung ! Banditi ! de Carlo Lizzani (1951) revient sur la période de la Libération en Italie, et sur les combats mettant aux prises les communistes, les ouvriers et les chasseurs alpins. Film de chair (qui se retrouvent, des femmes sont là, ou qui peuvent à tout instant mourir - il y en aura), film de tactique, film de jeunesse, film d'espoir, et plus étonnant-consternant film dont certaines séquences censurées sont réintégrées dans un mauvais état (séquences parfois très brèves évoquant...l'Eglise !), nous rendant à la fois proches (scènes d'intérieur, scènes de cachette) et bien lointains (scènes d'affrontement, la finale notamment), voilà déjà un premier exemple, moins surprenant pour moi que les suivants, de prise en charge de l'histoire par le cinéma. Et de division d'un pays qui semble bien ancrée dans la quotidien.

On peut mettre en parallèle Le jardin des Finzi-Contini de Vittorio de Sica (1971) qui évoque la grande histoire par le microcosme: à Ferrare, deux familles juives, des jeunes amoureux, une certaine allégresse dans le début (tout le monde va jouer au tennis dans ce fameux jardin), mais le film se déroulera de 1938 à 1943, et donc scellera tous ces destins. Déjà, les amours ne sont pas si simples et partagés que l'on croit, ensuite les périls montent, et puis les différences sociales se marquent, elles aussi, et le film, si léger dans sa première scène, devient un terrifiant délitement progressif, illustrant cette Histoire que l'on ne verra pas mais qui entoure peu à peu chaque acte de ces maisons, ces rues, cette ville. La scène finale, aussi habile et tranchante que respectueuse et digne, est incroyable.

On quitte ces époques pour plonger dans du sombre poétique avec Ostia de Sergio Citti (1970), brûlot amoral écrit par Pasolini (ça se sent !), où deux frères surgis d'on ne sait où, sortes de vagabonds célestes, trouvent une femme (si si) qu'ils vont offrir, salir puis emmener avec eux (ou eux avec elle ?) dans des dérives aussi poétiques que dérangeantes. Poème baroque avec trois acteurs magnétiques, on est là dans ce que le cinéma italien de cette époque pouvait offrir de plus radical: l'envie de réinventer de tous côtés. Dérangeant, mais fascinant.





Double-dose de Dino Risi, qui dans ma tête était un cinéaste de comédies masculines, et qui m'a happé avec Dernier amour (1978), qui comme son nom l'indique prend la question à l'envers, puisque son personnage principal entre en maison de retraite, mais reste plein de "vie" (ou de croyance de vie) après sa vie de comique théâtral...il tombe amoureux, ou désirant, de la femme de chambre, toute jeune, et en avant ils foncent...jusqu'à retrouver la réalité, assez vite d'ailleurs, celle des êtres comme celle du monde qui a bien changé. Frémissant de gravité joyeuse et triste à la fois, ce film qui m'a fait découvrir cette collection résonne longtemps, par sa capacité à mélanger les émotions les plus opposées, dans les recoins troubles du coeur.

Dino Risi, deuxième, avec le très beau et très troublant Ames perdues (1976), film magique (mais de magie noire), baroque et bouleversant, qui fait l'une des rares choses que j'aime avec le fantastique: l'utiliser non pas pour faire peur (souvent ça rate) mais comme métaphore de sentiments. Ici donc, avec peu de personnages, un château délabré, des ambiances nocturnes et quelques bruits étranges et recoins sombres, on va peu à peu percer un mystère bien humain, celui des âmes et des coeurs. Brillant, absolument.

Rien à voir en apparence et pourtant, le personnage central interprété par le génial Gian-Maria Volonte d'Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d'Elio Petri (1970) vient confirmer cette assez incroyable capacité à mêler politique, cinéma (quelle mise en scène, waow !) et ambition artistique (ne pas asséner un "message", délivrer des options). Donc là, on voit d'abord un meurtrier, puis éberlués on suit ce meurtrier rentrant allègrement dans on bureau de commissaire central, et faisant la leçon à ses employés, puis se rendant sur les lieux du crime ! Fou ? Serial Killer ? Nullement: juste une sorte de démonstration par l'absurde de ce qu'est un rôle social, et des aveuglements qu'il implique. Le personnage, sorte de schizophrène volontaire, fera tout pour se faire découvrir en sachant qu'il ne risque rien. Et le film sera un implacable et stupéfiant tourbillon de folies (personnelles, politiques, morales, sociales) que l'on suit sidérés, un film poliicer à l'envers, mais alors un film scotchant. Magistral.

On finira tous sourires (encore que, pas seulement...) devant le magnifique, drôle, enjoué, enflammé Liberté mon amour ! de Mauro Bolognini (1975) où une Claudia Cardinale à se damner joue le rôle d'une fille de communiste appelée...Libera Amore Anarchia (rien moins !) qui va traverser, robe rouge vissée au corps, l'Italie des années 30-40 comme un emblème de tous les refus, sauf celui de la fidélité politique et de l'amour pour sa famille. Véritable tornade que rien n'arrête (ou presque...), elle illumine un film aussi drôle que touchant, aussi engagé et sérieux que rieur et charmé, qui confirme qu'il est possible de faire des oeuvres sexy, légères et profondes sur des thèmes graves voire sérieux: cette liberté là, faut la garder au chaud. Et ce film-là, le garder pour le regarder encore. Coup de coeur absolu.

Petite oldie, le très beau et tendu Kiss de Scoutt Niblett, la ptite soeur souvent négligée à tort de certaines rockeuses...    

   

lundi 25 novembre 2013

J'ai lu quelques BD


On commencera avec un monsieur dont j'ai parlé il y a peu, et dont décidément je découvre des oeuvres dont j'ai jamais entendu parler. le canadien Seth livre avec La confrérie des cartoonists du grand-nord un véritable délice (ne serait-ce que pour l'objet lui-même) autour de la BD: en fait ici on nous fait visiter une sorte d'exposition consacrée donc à ces cartoonists humbles et géniaux...qui je crois n'existent absolument pas ! On découvre pourtant des bribes de leurs vies, des dessins, des histoires, des portraits, des objets de collections, le tout baignant dans un clair obscur d'admiration sans fin et de nostalgie d'un possible âge d'or. Objet-BD à part, comme souvent avec lui, ne racontant aucune histoire mais déployant des myriades d'histoires bien humaines, voici un véritable bijou, avec en guise de clin d'oeil la présence dans cette "galerie" de Chester Brown, auteur bien vivant et bien réel ! Je ne suis évidemment surtout pas allé vérifier sur internet si ces messieurs existent, car mieux vaut se retrouver confronté face à une étrange ambiguïté: la biographie de gens qu'il aurait été si bon qu'ils existent...

Parfait symétrique, j'ai enfin mis la main sur La véritable histoire de Futuropolis, de Florence Cestac. Comme son nom l'indique, c'est encore un voyage dans les arcanes de la BD, française cette fois, avec donc l'histoire d'une collection qui existe toujours, collection d'ailleurs qui est l'une des très rares (la seule) en format BD "traditionnelle" que je lis régulièrement. Oui mais voilà, quels chocs et quels étonnements de découvrir qu'il faut remonter au début des années 70, quand quatre jeunes qui ne connaissent rien à la BD ou presque se retrouvent à acheter un...magasin, car Futuropolis fut d'abord un magasin, tenu par un vieil excentrique vite énervé. Equipés d'une 2CV, amateurs de marchés aux puces, prêts à passer les frontières, voilà nos quatre amateurs qui se bougent pour leur magasin, y croisent de futures figures (Tardi, Jean-Pierre Dionnet égal à lui-même dès sa jeunesse - ça devait être quelque chose !, plus tard le fou ingérable Charlie Schlingo...), et peu à peu décident, sur coup de tête, de se lancer dans disons la confection d'objets-livres érudits, underground, tout faits à la main, et ça va marcher...Et là on assiste à ce que j'ignorais, la naissance d'un absolu underground à taille humaine, une sorte d'utopie libertaire réalisée qui je le crains ne pourrait plus exister aujourd'hui. Car c'est là aussi ce que j'ai découvert: une fois rachetés, dans les années 80, par Gallimard, Futuropolis est devenu "normal", alors qu'avant c'était du délire éditorial, des oeuvres d'arts graphiques que j'aimerais bien voir aujourd'hui: la fin d'une époque. D'où une fin de livre presque expédiée, parce qu'en peu de temps tout s'est non pas écroulé, mais a été modifié essentiellement...c'est d'ailleurs assez étonnant et tellement tristement révélateur de voir que plusieurs fondateurs sont partis en 1984 dans l'aventure Canal plus, chaîne qui a ses débuts a pu être regardée comme plutôt underground et est devenue l'hideux capitalisme TV actuel...en tout cas, voilà une BD qui emporte tout sur son passage, qui en dit long sur le monde et les êtres humains des quarante dernières années, qui est d'une drôlerie absolue, bourrée d'anecdotes et surtout d'une humanité dans ce qui l'est le moins, la machine économique et les idéaux. Chef-d'oeuvre.

Bizarrement pas si éloigné, Pasolini, une rencontre de Davide Toffolo n'est pas exactement ce que son titre indique, en tout cas s'avère plus riche et trouble. L'auteur est en effet "contacté" par un double de Pasolini, et le rencontre, puis tente de suivre ses traces. C'est l'occasion d'écouter les mots - tellement justes, tellement prophétiques en un sens - du cinéaste-écrivain-poète, son regard sur la société italienne voire mondiale (sa manière précieuse de conjurer la société de consommation trente ans avant, ça fait autant de bien que peur)...outre tout cela qui déjà justifie lecture, ô combien, la BD partira vers des moments centrés sur l'auteur, entre une relecture de la scène mythique de Nanni Moretti dans Journal intime, et poursuites étranges d'un fantôme inexistant...une très belle oeuvre donc, qui donne furieusement envie de se replonger dans les films du monsieur, dont on n'entend plus trop parler, ce qui là aussi en dit long...je sais ce que je vais prendre à la bibli prochainement !

La voiture d'Intisar de Pedro Riera et Nacho Casanova nous emmène au Yémen, où sous forme de reportage-interview-rencontre, nous suivons le quotidien d'une jeune infirmière, cette Intisar aussi délurée que révoltée, aussi pétillante d'intelligence que drôle et attachante. A travers elle, c'est toute la société yéménite, et les places réservées aux femmes, que l'on découvre, et, ce qui n'est pas toujours le cas avec ce genre très répandu de BD, ici miracle cela ouvre beaucoup plus de questions que de réponses...on est donc confrontés à de l'inacceptable, mais aussi et surtout à du fort complexe qui n'en finit pas d'amener des interrogations. Dans le genre, une totale réussite, avec en prime un personnage féminin débordant d'obligation d'admirations.

On finira avec une BD de chez...Futuropolis, Kongo, le ténébreux voyage de Josef Konrad Korzeniowski, de Toni Tirabosco et Christian Perrissin,  récit historique de cet ukrainien de la fin du XIXème siècle qui part découvrir le "commerce" au Congo, ukrainien qui n'est autre que le futur écrivain Joseph Conrad...On suit donc, outre la naissance à soi-même d'un homme curieux du monde, la naissance des "liens" (hum...) entre Europe et Afrique, entre commerce et esclavagisme, entre présence et utilisation, cet ouvrage de facture classique dans son récit, mais d'un noir et blanc très beau, ouvre là aussi des perspectives disons...révélatrices...



La pop baroque avec de Mice Parade, avec ses déviations hispaniques finales inattendues, conviendra très bien pour ce lundi matin...


dimanche 17 novembre 2013

DVD curiosités: la collection Les introuvables.

Les sorties ciné étant aussi un peu réduites, et puis de toutes façons on peut pas dire qu'il pleuve des appels de films en ce moment, il y a par contre des entrées culturelles nombreuses à l'appart, merci la bibli...je sais pas si je pourrais en parler souvent, mais enfin je découvre de telles pépites de moi inconnues que quelques mots ne sauraient être de trop...
On commence aujourd'hui avec quelques exemples d'une collection qui ne pouvait que m'attirer, des oeuvres relativement peu connues du cinéma américain, loin d'être aujourd'hui celui qui m'attire, mais qui comme toute vie recèle dans ses recoins secrets des merveilles.


That cold day in the park de Robert Altman (1969) est une pure étrangeté, la "rencontre" forcée d'une bourgeoise américaine et d'un jeune totalement mutique, qu'elle récupère sous la pluie sur un banc, accueille, et avec qui elle monologue. En fait ce garçon n'est muet qu'avec elle, et lorsqu'il s'échappe-sort de chez elle, il va retrouver sa soeur ou ses amis et leur raconte son jeu. Mais ce qui n'était qu'un jeu... fascination de classe, de génération, d'individus corsetés ou se voulant libres, le film est un puzzle qui met souvent mal à l'aise, jusqu'à son dénouement disons, particulier. Portrait en creux d'une nouvelle Amérique, mais aussi regard sans fard sur la bizarrerie humaine.


Ralph Bakshi, lui, faisait des dessins animés, principalement d'Heroïc-fantasy (il a même fait un Seigneur des anneaux bien avant cet idiot de Peter Jackson), mais plutôt pour adultes, y diffusant des idées sur le monde et sur les relations humaines. On retrouve donc dans Les sorciers de la guerre (1977), outre les ingrédients du genre (frères ennemis, trahisons, danger planétaire), des personnages féminins ultra-sexy, de l'humour, et surtout une référence constante au nazisme, avec un mélange inattendu d'animation et d'images "réelles". On n'est pas loin, et c'est là le plus surprenant quand on voit aujourd'hui le niveau quasi-zéro de l'animation américaine, des manga: des oeuvres d'art données pour se divertir ET réfléchir. 


Idem pour le génial film de SF Le monde, la chair et le diable, de Ranald Mac Dougall (1959), de la SF comme je l'aime, absence totale d'effets spéciaux, seuls les lieux et les situations la créent, et lecture à double-niveau. Donc là, contexte guerre froide ou pas, la fin du monde est arrivée, en tout cas celle de l'espèce humaine, au moins en Amérique: il ne reste que trois humains...deux hommes, une femme...un blanc, un noir...le propos du film, outre la vision toujours hallucinante d'un décor de ville immense mais vide, sera donc bien à la fois politique, sociologique, et psychologique, sans jamais tomber dans l'ennui du film à thèse. Car derniers humains ou pas la question de comment on vit ensemble ou pas sera au coeur de chaque instant. Film fascinant.


On finira sur les deux plus curieux, d'abord Electra glide in blue de James William Guercio (1973) qui suit le quotidien de...policiers à moto, avec un regard à la fois distancié et en même temps rendu plus proche par le fait que c'est le personnage auquel on s'attend le moins que l'on va suivre, un petit homme plein d'idéaux, qui vont vite buter sur la réalité, mais qui a bien de l'endurance (on n'est jamais obligé d'accepter la réalité). Film vraiment ovniesque pour moi, aussi drôle que surprenant, aussi amer que tendre, prenant à rebours tant la culture hippie se développant que le point de vue policier ras la casquette, on se retrouve devant un produit assez hallucinant, cherchant là-aussi, mais à une plus grande échelle que le film précédent, à comprendre finalement comment tout le monde vit. 


On finira avec le top du top, le relativement connu The swimmer de Franck Perry (1968), l'un des films les plus étonnants qu'il m'ait été donné de voir, par son idée de scénario: un homme en maillot de bain surgit on ne sait d'où dans une maison huppée de Los Angeles, connaît les habitants, discutent avec eux, n'habite pas très loin, à quelques maisons et jardins de là, et décide, au lieu de prendre la route, de rentrer chez lui en traversant tous les jardins et les piscines qu'il croisera. Euh attends là, le film raconte donc l'histoire d'un mec qui rentre chez lui en maillot de bain en traversant des jardins ?? Eh bien, oui ! Le film ne montrera que ça. Mais...très vite, entre les rencontres, et les dialogues (certains passages sublimes, l'enfant, l'ancienne maîtresse...) on découvre que c'est sa vie (la question étant de savoir si elle est passée, présente ou future) qu'il est en train de traverser. Pari tenu jusqu'au bout: acteur en maillot (Burt Lancaster, les filles), scénario improbable devenant haletant, et un final aussi grandiose que scotchant. Incontestablement, ce film à nul autre pareil est un pur chef-d'oeuvre.

Et moi j'aime beaucoup les caennais de The concrete knives, oui oui !